C'est en relisant Hamlet que j’ai trouvé ce qui me plait vraiment chez Shakespeare.
Toutes ses couleurs, toutes ses oppositions : poésie et trivialité, humour et tragédie…
Toute cette nourriture pour le jeu de l’acteur, parce que c’est un théâtre sur le théâtre permanent
et qu’ensuite l’idée qu’il se fait du monde reste ô combien actuelle comme le dit Jacques dans «
Comme il vous plaira » :
« Le Monde entier est une scène de théâtre où les hommes et les femmes n’en sont que les
joueurs. Ils y ont leurs entrées et leurs sorties. »
Dans « Hamlet » la même question du théâtre et de la théâtralité se pose.
J’ai refermé le livre et alors ?
Hamlet est-il réellement fou ou le devient-il à force de le contrefaire ?
Il se peut que je contrefasse la folie dit-il. Ou pas.
Pour moi, peu importe, une chose est sûre c’est qu’il est désespéré.
Et c’est ce désespoir qui m’intéresse. Que reste-il face à la désespérance ? Face à cette envie de
justice pour un monde meilleur ?
Agir ? Mourir ? Ou ne rien faire, rester dans la procrastination, ressasser son dégout, se noyer dans
la vase, avaler la pourriture qu’on nous impose.
Chez Hamlet, l’émotion vient après la contrefaçon de l’émotion et c’est en jouant quelque chose
que ce qu’il joue advient.
Moi qui cherchais à être seul en scène, c’est une évidence, ce sera avec lui.
Tout se passe dans la conscience d’Hamlet. C’est l’axe dramaturgique où tout devient possible seul
en scène. C’est cet axe là que j’ai choisi.
Le drame a eu lieu.
Avant de disparaître, Hamlet confie son histoire à Horatio. Il va revivre et incarner avec intensité
cette histoire comme un acteur en jeu sur une scène d’un théâtre dépouillé.
Une scène où on le voit isolé, marginalisé et surveillé.
Une scène où il revisite le monde, dans la solitude et dans l’espace de son propre crâne.
A Elseneur, il y a quelque chose de pourri.
Ça pue.
Hamlet étouffe, il manque d’air.
Il est seul contre tous, privé de l’héritage de la couronne, mis à l’écart.
Il vit dans un vieux monde qui l’englue, on l’oblige à accepter l’inacceptable.
Dans le jeu de la folie, Hamlet veut affronter le pouvoir avec les armes du théâtre, le mettre face à
un miroir. Mais c’est en vain… Il reste dans la tragédie de son incapacité à agir.
Alors Hamlet doit sortir la tête hors de l’eau, hors de la vase d’où se noiera Ophélie (victime
collatérale). Hamlet va devenir un barbare chez les barbares. Il va agir dans une urgence, dans
l’excès, secouer tout ça dans une soif d’absolu, dévoiler le monde qui l’entoure tel qu’il est, le
dépouiller de ses illusions, et au final disparaître avec lui, pour faire place à un monde nouveau
dans lequel Horatio pourra à son tour raconter cette histoire… Raconter l’histoire d’Hamlet encore et encore.